« Voilà comme j’étais » par Marie-Paule FARINA.

Autobiograhie posthume fictive de SADE (1740-1814)

Un peu de lumière sur Sade...

"Il y avait à Athènes une loi qui séparait l’homme de l’opinion qu’il annonçait
et l’auteur de l’ouvrage qu’il publiait."

"Galilée fut persécuté pour avoir découvert les secrets du ciel ; les ignorants furent ses bourreaux. Je le suis pour avoir révélé les mystères de la conscience des hommes ; et des sots me tyrannisent.
L’esprit, la science et l’imagination seront toujours le désespoir des gens stupides."

"Ce n’est point ma façon de penser qui est à l’origine de mes malheurs, c’est celle des autres."

"Jésus dit à la femme adultère : "Allez et ne pêchez plus." Et les scélérats qui m’enferment m’ont dit
en poussant mes verrous : "Allez et ne vivez plus." Quelle différence, mon Dieu, entre vos divines paroles
et celles de mes stupides bourreaux !"

La praxis suit rarement la doxa naturelle…

Une recension délicate tellement le livre est riche d'enseignement.

L’originalité de cette autobiographie posthume fictive, passionnante de bout en bout, est double.

Première originalité : autobiographie fictive. Faisant commencer le récit à l’époque de son Journal tenu à Charenton, Marie-Paule Farina, philosophe et essayiste  – on peut ajouter romancière avec ce livre  – se place dans la peau de Sade racontant à l’aide de sa propre plume (tout aussi croquante), ses « mémoires ».

"Rédiger des confessions, des mémoires, il faut réserver cela à la vieillesse quand l’imagination est tarie,
la mienne est bien vivante et pourtant j’éprouve une sorte de besoin de me raconter. Est-ce la sénilité qui me pousse à écrire pour moi-même, et pour moi-même seulement, ce que l’on a exigé de moi à tant de reprises et que j’ai toujours refusé de livrer à la curiosité de mes contemporains ? Me connaître était le dernier de leurs soucis. Ils me demandaient de me raconter, mais ils n’attendaient du monstre Sade que des détails croustillants sur ses transgressions et ses crimes. Du cul !... Du cul !... Du cul !"

Le récit démarre donc quelques années avant sa mort me faisant vibrer d’effroi au fil des pages : à la découverte de sa vie pathétique, semée d’aventures rocambolesques qui le conduiront, dans ces siècles troublés que traversent la Monarchie absolue, la Révolution suivie de la Convention, du Directoire, du Consulat, puis l’Empire napoléonien, tous désireux de mettre de l’ordre selon leurs vues… à subir un enfermement de vingt-sept années sur soixante-quatorze…

Marquis et comte de Sade : martyr de la liberté, du conformisme et du vicieux despote argent...

Le libertin Louis (je souligne) Donatien, Aldonze, François de Sade, enregistré par erreur et baptisé sous le nom de Donatien Alphonse François, ce dont il se servira à plusieurs reprises mais le desservira aussi, est né le 2 juin 1740 sous l’Ancien régime, d’un père de l’ancienne noblesse provinciale, propriétaire terrien érudit, militaire, diplomate, poète, philosophe et libertin. Jusqu’à l’âge de ses dix ans, il est confié à son oncle Jacques-François de Sade, érudit et libertin, hébergé dans le château de Saumane, l’un des fiefs les plus anciens de la famille de Sade. Il suivra ensuite quatre ans d’études au collège Louis-le-Grand à Paris, confié à un autre abbé, également érudit et libertin.

À l’âge de quatorze ans, son père le fera entrer dans la cavalerie où il servira l’armée durant la guerre de Sept Ans (1756-1763) « jeté dans les tentations et l’ennui des casernes et des campements uniquement masculins. » À l’âge de vingt-trois ans, démobilisé en 1763, Sade s’installe dans le château familial de La Coste dans le Vaucluse où il épousera Renée-Pélagie de Montreuil issue de la petite noblesse de robe. Il aura de ce mariage arrangé  trois enfants, une fille, et deux fils au cœur apparemment sec dont un grand bigot et « héritera » avec la dot de sa femme d’une belle-mère redoutable qui sera la source directe du maintien de sa longue privation de liberté.

Après son mariage, malgré un attachement réciproque des deux époux, les affaires de débauche s’enchaînent (Arcueil, Marseille et celle des « petites filles »). Sous le bénéfice de lettres de cachet[i] obtenues par sa belle-mère, Sade sera enfermé en 1763, 1768 et en 1771 (pour dettes), cette privation de liberté composant un acte I.

Il sera à nouveau enfermé en 1777 : 13 années d’enfermement. Libéré en 1790, il sera à nouveau emprisonné pour modérantisme sous la Terreur. Puis libéré en 1794 (sauvé par la chute de Robespierre), il sera une nouvelle fois reclus de 1801 jusqu’à sa mort en 1814.

[i] Lettres de cachet : « Abolies par la Révolution, les lettres de cachet délivrées au nom du roi permettaient à ses sujets de toutes conditions de régler directement des litiges privés. Au prix de certains abus. »

Toutes ces dates qui semblent suivre l’écrit journalistique de ses souvenirs par Sade et la traversée par ses « aventures » de tous ces régimes, qui ont tiraillé la France, m’ont un peu fait tourner la tête… 

Marie-Paule Farina, auteure de plusieurs ouvrages sur Sade, rend compte explicitement à partir d’une documentation sans doute exhaustive de ce qui est resté de ses « papiers » (son Journal tenu à Charenton, sa correspondance, ses œuvres) et les multiples études sur l’homme et ses ouvrages (objet de fascination pour les chercheurs qui les dépecèrent et les autopsièrent sous toutes les coutures et ce n’est pas fini deux cents ans après sa mort…[i]), de la simplicité de l’homme sous la robe de l’écrivain et du calvaire qu’il a subi. Par la bouche de Sade qui se connaissait parfaitement, l’auteure montre sans complaisance ses particularités : esprit fin et athée (anticlérical), de belle morphologie et d’un tempérament fort (coléreux et capricieux), cabotin (ce qui faisait rire son entourage enfant et les fit moins rire quand ses penchants homosexuels, terme de l’époque qu’il est plus précis de remplacer par sodomites, acte par lequel les héros sadiens de ses romans trouvent leur plaisir, s’exprimèrent assez tôt dans le libertinage courant sous l’Ancien régime, son père devant souvent le tirer d’affaire), d’un caractère joyeux, bon vivant, hédoniste (sensuel matérialiste que son esprit cabotin transformera en ce que l’on nommera le « sadisme[ii] », également bon envers sa famille et son incroyable crédulité légendaire… qui lui coûta en quelque sorte la vie ou sa liberté.

[i] Sorti en 09/2021. Sade, la Révolution et la finance, Classiques Garnier.

[ii] Sadisme : « Aspiration inconditionnelle à la jouissance, quoi qu’il en coûte à l’autre » ; définition qui sera étendue abusivement à la notion de « souffrance physique ou morale (domination, contrôle) volontairement infligée à autrui ».

"J’étais tous les jours à la parade. À seize ans la gazette parlait de ma bravoure dans la prise d’assaut d’une redoute ; cette vertu féroce et ce type de courage convenaient parfaitement à l’âme de feu de l’adolescent totalement dépourvu de cervelle que j’étais à ce moment-là. J’ai toute ma vie craint de mourir seul comme mon père (mort en 1767) et je n’ai jamais pardonné à ma mère de l’avoir abandonné pour s’installer sans lui à Paris. Mais, moi, qu’ai-je fait d’autre ?
J’étais si heureux d’échapper à sa tutelle que je multipliais les sottises. La Coste ne suffit pas à me mettre du plomb dans la tête et les prostituées de Marseille furent aussi écoutées que celles de Paris. J’ai voulu être cet enfant rieur, mais dans nos salons distingués, le mot merde pue, le mot vit viole, et le mot foutre brouille la vue de tous ceux qui le lisent."

Le livre est dense. Les femmes de Sade, ses rapports avec sa famille et ses amitiés, tout est passé en revue nous livrant par cette plume croquante des comportements et des détails d’avidité foncière familiale qui ne peuvent laisser de glace. Ni nous… Ni Sade :

"En juillet de cette année 1810, ma femme est morte, elle aura été pendant près de trente ans la plus chère et la meilleure amie que j’aie eue en ce monde. Sans elle, je n’aurais pas survécu à Vincennes et à la Bastille, mais sans elle et sa famille je n’y serais jamais entré. Elle disait m’aimer et tenir à moi et je crois qu’elle disait vrai ; mais soufflée par sa mère, soufflée par ses fils, elle m’a sacrifié puis ruiné. Pourtant c’est d’eux et non de moi qu’elle aura reçu le coup fatal. Il a fallu, malgré mon interdiction, que le plus jeune lui annonçât la mort de l’aîné ; elle n’a pas survécu six mois à cette nouvelle ! Nous voyons tous les jours ici arriver des personnes fragiles détruites par un choc émotionnel comme celui-là. J’en ai voulu au cadet et l’ai maudit en notre nom à tous deux : "Vous avez tué, lui ai-je dit, à la fois votre père et votre mère, l’un de misère, l’autre de douleur. Patience… patience, votre fils nous vengera."

Si celui-ci ne l’a pas fait, d’autres l’ont fait : ses œuvres ont récupéré leurs lettres de noblesse, canonisées dans la bibliothèque de la Pléiade, et bien tardivement (deux cents ans après sa mort), les 120 jours de Sodome ou l’école du libertinage,  « Véritable monument, texte capital de la critique et de l’imaginaire, sulfureux, devenu un classique » en est-il dit, a été acquis par la BNF[i].

[i] La tenue d’un colloque en 2022 regroupant des spécialistes et intellectuels, visant à questionner la figure de Sade, la réception de son œuvre au cours des siècles et sa lecture aujourd’hui, était annoncée avec cette nouvelle. Je n’ai trouvé la trace que de la conférence qui se tiendra, au Québec, le 25 mai 2022, donnée par le psychanalyste et directeur de recherches Pierre-Henri Castel (CNRS/EHESS) à l’UQAM : « Sade, sérieusement ».

Seconde originalité : Marie-Paule Farina, auteure entre autres de l’ouvrage Le rire de Sade. Essai de sadothérapie joyeuse préconisant une lecture « joyeuse » des œuvres vilipendées du catalogue le plus lu de Sade (ses Livres de Bastille ou ses œuvres sodomites) au nombre de ceux qui contribuent depuis Apollinaire et les Surréalistes, et Pauvert[i] à la réhabilitation et à la reconnaissance des œuvres de l’homme de lettres[ii], en rend bon compte.

[i] « L’œuvre de Sade fut occultée et clandestine pendant le XIXe siècle, toujours interdite. Jean-Jacques Pauvert est le premier éditeur à braver la censure en publiant sous son nom ses œuvres. Poursuivi en 1956 pour outrage aux mœurs, il est condamné, mais relaxé en appel en 1958. » (Source Wiki).

[ii] Liste. https://www.marquis-de-sade.com/la-bibliotheque/les-livres-quil-a-ecrit/

L’homme de Lettres : le goût pour les Lettres de Sade commence très jeune. Son environnement familial lui donne les moyens de l’exprimer au sein du théâtre de La Coste. Puis ses débauches libertines donneront lieu aux enfermements de 1763, 68 et 71 sous l’aubaine initiale des lettres de cachet sollicitées par sa belle-mère. Mais bien que Sade fut lavé de ses « crimes », sa belle-mère ne le voit pas de cet œil et multipliera les lettres de cachet pour sauver l’honneur (enfermement de 1777 à 1790 à Vincennes, puis la Bastille).

C’est alors que débutera la production de ce qu’il nomme ses « fariboles » ou ses « Livres de Bastille ».

Sade, exacerbé, maintenu sans connaissance du terme de sa libération dans des conditions inhumaines, agrémente ses livres, principalement satiriques, de son « vice ». Ils seront maintes fois détruits et recommencés, de plus en plus sulfureux…  « D’une créativité sans pareille, d’une audace inouïe des postures de l’esprit et des corps (irréalisables), d’une défense et illustration de perversions innombrables à l’inventaire soigneux » dira-t-on, ce qui lui vaudra d’être l’homme d’une « perpétuelle démence libertine » risquant d’infecter son entourage, qui sera maintenu enfermé par de vrais sadiques préférant soigner ledit « mal » par le mal…

"Je ne pus le croire. Comment une mascarade imbécile faite à vingt ans aurait-elle pu déterminer toute ma vie sans que j’en sache rien ? À vingt ans, j’avais bien du mal à accepter la sexualité qui était la mienne, mais le lien entre sodomie, bougrerie et hérésie, ce n’était pas moi qui l’avais créé. Ce n’était pas moi qui avais fait du diable un amateur de culs et de sabbats où le blasphème et la profanation de l’hostie était la règle. Sperme, sang, pisse, merde, je n’ai jamais vu autant de liquides corporels répandus sur les pavés. L’odeur de la Révolution était insoutenable et nous a tous transformés en buveurs de sang et en égoutiers de la jeune République. L’odeur du papier et de l’encre a pour moi, heureusement, couvert toutes les autres. J’aimais fesser et être fessé comme la moitié des libertins de Paris, hommes d’Église en tête. Toutes les maquerelles de Paris avaient des fouets et des martinets, les couvents aussi en étaient équipés, on appelait cela des meubles de religieuse. Pourquoi serais-je puni pour avoir manié un instrument d’édification des âmes aussi courant ? » [Petite parenthèse : le droit de correction paternel fut érigé dans le Code civil de 1804]. Et ma délicate amie, ma mère dit encore : c’est vrai, il est inconcevable tout ce qui s’est fait d’horreurs à la Cour depuis dix ans, mais ne sens-tu pas la lassitude du public ?
Tu vas payer pour tout cela, pour tous ceux-là plutôt."

"Tandis que la tragédie rougissait les rues, la bergerie fleurissait au théâtre
et l’on coupait le cou à son voisin avec une extrême sensibilité."

Ma découverte de Sade : à propos de la thèse originale soutenue par Marie-Paule Farina, préconisant une relecture « joyeuse » de ses œuvres dites « sulfureuses », je n’ai lu qu’une partie des 120 journées de Sodome. Cette lecture, au stade où je me suis arrêtée, ne m’a pas impressionnée pour un sou… Mais la suite de ses fantasmes serait terrifiante… En revanche, j’ai bien ri sur ses attaques des « institutions » et leurs composantes. J’ai également survolé deux-trois autres de ses Livres de Bastille. Si tout est du même acabit, je ne peux qu’adhérer à l’appréciation de l’auteure qualifiant de burlesque ses « fariboles » satiriques quand je les compare, notamment, à la violence contemporaine ou la pornographie qui s’exercent librement ou la pédophilie ecclésiastique qui a su se maintenir malgré toutes les « refondations » entreprises…

Mais l’expérience a aussi appris à Sade « que le délirant le plus délirant garde en lui une part de raison qui observe son délire. À quoi bon tenter de le convaincre qu’il est dans l’illusion, son illusion le protège d’une réalité qui est ou a été, pour lui, insupportable ». Son activité théâtrale pour le maintien d’asiles humanisés, à l’asile de fous de Charenton où il fut transféré en 1803… jusqu’à sa mort (2 décembre 1814), comme ses derniers romans historiques produits sous l’Empire en témoignent indubitablement.

En conclusion : une lecture passionnante que je recommande sur un homme qui n’a pas fini de faire parler de lui – au moins chez les historiens et les philosophes !

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