Cornelius Castoriadis.

L’institution imaginaire de la société (premier des 6 volumes du Carrefour du Labyrinthe).

Œuvre colossale dont la préface, à elle seule, est monumentale...

Résumé : Critique sans concession de la « pensée héritée » sur la politique, la société et l’histoire, en particulier dans sa version marxiste, ce livre inclassable s’est affirmé comme une des œuvres majeures de la seconde moitié du XXe siècle, au carrefour de la politique, de la philosophie, de la psychanalyse et de la réflexion sur la science. Partant de la reconnaissance du rôle des significations imaginaires dans la création de notre monde, l’auteur y défend le projet d’une auto-institution explicite de la société.

Lutter contre notre réification et l’antagonisme ou comment retrouver notre autonomie ?

Je n’ai lu jusqu’à présent que la moitié du premier livre de la série (5 ou 6 livres, sauf erreur) et peux seulement indiquer que cet essai a dû en décourager plus d’un tant il est riche, d’autant que sa lecture n’est pas facilitée par un contenu extrêmement dense et constitue comme le signale l’auteur lui-même, « un travail se faisant ».

Dans une première partie « Bilan provisoire du marxisme », la critique étayée de développements fort instructifs devrait amener tout adepte encore existant du communisme à oublier cette vieille idéologie de Marx qui procède d’une erreur : la méconnaissance de la formation de l’histoire sociale qui a donné lieu à une théorie absolue, fermée, et donc insoutenable.

"Toute pensée, quelle qu'elle soit et quel que soit son "objet", n'est qu'un mode et une forme du faire social-historique. (...). L'histoire est essentiellement poièsis, et non pas poésie imitative, mais création et genèse ontologique dans et par le faire et le représenter/dire des hommes".

Dans la partie qui suit, Castoriadis montre la place de l’imaginaire et du symbolisme dans la fabrication de nos institutions et la naissance de notre aliénation et de la création des « classes » qui remonte à fort loin et dont on n’aura sans doute jamais la preuve :

« Cette remontée, nous ne pouvons l’arrêter avant qu’elle ne nous ait plongés dans l’obscurité qui couvre le passage du néolithique à la protohistoire. Dans ce qui n’a été probablement que deux ou trois millénaires, au Proche et au Moyen-Orient en tout cas, on trouve la transition des villages néolithiques les plus évolués, mais sans trace apparente de division sociale, aux premières villes sumériennes où dès le début du IVe millénaire avant J.-C. existe d’emblée et sous une forme pratiquement déjà achevée l’essentiel de toute société bien organisée : les prêtres, les esclaves, la police, les prostituées. Tout est déjà joué et nous ne pouvons pas savoir comment et pourquoi cela l’a été. » 

« Le saurons-nous un jour ? Des excavations plus poussées nous feront-elles comprendre le mystère de la naissance des classes ? Nous avouons ne pas voir comment des trouvailles archéologiques pourraient nous faire comprendre cela : qu’à partir d’un « moment », les hommes se sont vus et se sont agis les uns les autres non pas comme alliés à aider, rivaux à surclasser, ennemis à exterminer ou même à manger, mais comme objets à posséder. (…) Plus exactement, une fraction des hommes a fait exister cette possibilité contre les autres, lesquels, sans cesser de la combattre de mille façons, y ont aussi de mille façons participé. L’institution de l’esclavage est surgissement d’une nouvelle signification imaginaire, d’une nouvelle façon pour la société de se vivre, de se voir et de s’agir comme articulée de façon antagonique et non symétrique, signification qui se symbolise et se sanctionne aussitôt par des règles. »

« Il ne fallut plus bien longtemps pour découvrir cette grande « vérité » : que l’homme aussi peut être une marchandise, que la force humaine est matière échangeable et exploitable, si l’on transforme l’homme en esclave. "À peine les hommes avaient-ils commencé à pratiquer l’échange que déjà, eux-mêmes, ils furent échangés". (Engels, L’origine de la famille). Cette grande « vérité », essentiellement la même que « l’imposture » que dénonçait Rousseau dans le Discours sur l’origine de l’inégalité – ni vérité, ni imposture – ne pouvait être ni « découverte » ni « inventée » : il fallait qu’elle fût imaginée et créée. Et ici apparaît ce qui nous semble le trait spécifique, et le plus profond, de l’imaginaire moderne, le plus lourd de conséquences et de promesses aussi. »

« Cet imaginaire n’a pas de chair propre, il emprunte sa matière à autre chose, il est investissement phantasmatique, valorisation et autonomisation d’éléments qui en eux-mêmes ne relèvent pas de l’imaginaire : le rationnel limité de l’entendement, et le symbolique. Le monde bureaucratique autonomise la rationalité dans un de ses moments partiels, celui de l’entendement, qui ne se soucie que de la correction des connexions partielles et ignore les questions des fondements, de la totalité, des fins, et du rapport de la raison avec l’homme et avec le monde ; et il vit pour l’essentiel dans un univers de symboles qui, la plupart du temps ni ne représentent le réel, ni ne sont nécessaires pour le penser et le manipuler ; c’est celui qui réalise à l’extrême l’autonomisation du pur symbolisme. Cette autonomisation, le degré d’emprise qu’elle exerce sur la réalité sociale au point d’en provoquer la dislocation, comme le degré d’aliénation qu’elle fait subir à la couche dominante elle-même, on a pu les voir sous leurs formes extrêmes dans les économies bureaucratiques de l’Est (…) » : des "économies de la Lune". »

Aujourd’hui, dans le « métavers » qui prend naissance, cette réification postmoderne nous range en catégories. Dresse des murs entre nous. Nous étiquette. Nous place dans des tiroirs… Ce n’est pourtant que dans la vie réelle qu’on apprend à découvrir son Je et les autres… Sommes-nous prêts à devenir de simples produits conformes ou non ? que des « checkers » abattent déjà à l’aide d’algorithmes savants au moindre écart décrété non rationnel par une poignée d’êtres disposant de la puissance.

Où va le monde ?

À suivre…

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