L’Histoire splendide de Guillaume Basquin

« 299. Tous les poètes modernes réécrivent le même poème universel inachevé : Le Livre ! »

Tout extra-lucide est poète…

Arnold Schönberg, Brick ou Regard

Raconter, dire, résister… tel est l’objet du narrateur, qui prête sa plume d’oie à la « créature qui refuse à tout prix la Terreur sanitaire née de la crise Covid-19, bientôt muée en Terreur politique tout court » nous dit la 4e de couverture.

« ah ! exprimer mes états d’âme mélanges d’amour de terreur d’angoisse & de courage jusqu’au balbutiement – si bien chantans et si parlans – toucher à l’intimité d’une berceuse et faire en sorte que ma pensée s’écoule d’elle-même – indépendamment des mots pour ainsi dire – dans un grand flux de conscience continue – ô saint James Joyce ! mon maître – chêne très vieux et très touffu » (p. 31)

L’Histoire splendide est un livre déroutant et jubilatoire,
livre-somme, livre-masse, livre-monde,
recouvert d’une mer de vers

« à partir d’une certaine accumulation la citation devient abstraction – écheveau de strates / plongée séculaire dans les archives littéraires du passé qui n’est même pas passé / lancer céleste / chant inusité / parole saoule / trille du vent / toucher au vol… / (…) / babil d’un babel en métagrammes (je note des mots nouveaux & inconnus de moi) » (pp. 28 & 31) ; « soupe de vers – de typogrammes / voici venir / le temps des – / & si le 21e siècle pourrissait par l’arrête ? / ô siècle putride ! nourritures spirituelles avariées partout ! » (p. 37)

ou prose poétique

« ce volume est comme une sphère – un lieu circulaire avec de multiples portes : le lecteur entre & sort quand il veut et où il peut /(…) / que l’assoiffé vienne / je suis toutes les formes à la fois : musicale peinte cinématographiée : c’est une suite de minuscules poèmes où les mots se touchent & s’écartent (pp. 49 & 51)

le tout organisé en « plateaux » 

« qui auront des vitesses très différentes & seront composés de matières diverses – ce sera un tourbillon génial & archangélique » (p. 54)

Ma chronique suivra le mouvement de ces strates multicouches…

« 1. j’entre par la porte étroite / 2. qui entre ici / me fera honneur – qui n’entre point / me fera plaisir » (1er et deuxième fragments de Mille romans (2e partie).

je creuse le labyrinthe de cette mer de vers où s’entrechoque le flux de vagues multiséculaires écumant les pleurs de l’humanité, néanmoins,

239. La mer est une folle que dresse ou calme la lune – ce qui étonne le plus c’est que la mer soit après tout sur la Terre

ainsi je reprends pied sur cette dernière avec ce titre Tentations & Tentatives que j’emprunte à Jean-Paul Gavard-Perret de la revue LeLittéraire.com – dans sa chronique Les tentatives et tentations de Guillaume Basquin sur Critiqueslibres.com  – en inversant l’ordre des mots…

Tentations

La 4e de couverture nous dit :

L’Histoire splendide est, selon Philippe Sollers (dans Désir), le titre d´un projet de livre abandonné d´Arthur Rimbaud. Le plus grand poète français, qui passait ses journées à Londres à lire et à écrire au British Musuem, avait tenu à préciser [dans une lettre du 16 avril 1874 faisant part à un communard exilé à Londres de son projet d´entreprendre un ouvrage en feuilletons avec ce titre] que ce livre serait écrit en anglais et que ce serait enfin « la véritable Histoire, littéralement et dans tous les sens. »

L’auteur ajoute :

Je me suis donc tenu à ce strict programme : raconter de façon la plus polyphonique possible les dessous réels de l´Histoire, sur plus de quarante siècles, jusqu´à l´accident global des communications instantanées que fut la crise du coronavirus, tout en mélangeant les langues de façon babélienne : pas de traduction des auteurs anglais cités : musique des sphères !

Tentatives

Au pluriel et dans tous les sens connus.

Expérimentation

« avant que d’entrer plus loin en matière il est essentiel que nous fassions connaître à notre lecteur les présupposés de ce livre afin qu’il puisse suivre légèrement & voluptueusement le récit sans que rien ne trouble son intelligence : ce livre – scienza nuova – comportera le moins possible de ponctuation (…) » (p. 16) ; « je rêve d’un art tout autre : un livre qui construirait son lecteur – un art fugitif & divinement désinvolte bref un art sollersien & nietzschéen à la fois » (p. 24),

L’auteur n’en est pas à son premier essai. Admirateur de Rimbaud, Sollers (son livre est un hommage à ce dernier), Nietzsche et autres grands de l’écriture littéraire et cinématographique, Guillaume Basquin avait déjà entrepris son ambitieux programme dans le (L)ivre papier, son précédent opus. Sans l’avoir lu dans le texte, à l’exception du passage présenté dans une interview-vidéo (entretien avec Evelyne Artaud), L’Histoire splendide me semble – selon les commentaires parcourus – être son prolongement sur le fond et son aboutissement en la forme.

Réussite

L’Histoire splendide, que je qualifierai volontiers « d’opéra à mi-chemin entre le buffa et le seria  – en attente de ses chœurs ! »  – est une œuvre

  • polyphonique

par les langues,

mais c’est aussi un chant, le monologue intérieur du narrateur déclamé sur un ton nietzschéen, sorte de blues de l’être transmoderne pris au piège, non haineux mais sain révolté lucide contre les dessous de l’Histoire réelle telle qu’elle fut et se profile de nos jours : atteintes à la démocratie et Volonté de Technique imposée, à laquelle on peut ajouter de Science

  • polymorphique, organisée en 5 « actes » aux formes diverses

Au commencement : 58 pages magistrales et jubilatoires, génialement réussies littérairement, légèrement surréalistes, constituent une sorte de lettre d’intention nous éclairant parallèlement sur l’auteur-narrateur ;

Mille romans : 1000 fragments épousent, en sus du ton, la forme nietzschéenne quelque peu prophétique ;

Terreur : 24 pages, auxquelles on adhère ou non, effectuent un rapprochement avec cette épouvantable période (post)révolutionnaire ;

Entracte : 2 pages d’écriture conventionnelle nous renseigne principalement sur le temps de travail qu’a demandé l’ouvrage : « Le premier montage achevé, j’eus la tentation de reprendre l’œuvre dès son début pour la mettre en décasyllabes ; mais au bout d’un certain temps j’eus l’impression qu’une vie entière ne suffirait pas à cette mise au point rythmique et je renonçai à poursuivre ma tâche – le tout m’avait pris cinq années de travail » [2016-2021] ;

Journal de CONfinement : 63 pages de lecture moins opérantes que la 1ère partie (identiquement sans ponctuation mais sans retour respiratoire à la ligne) et au contenu quelque peu rébarbatif pour qui – complotiste ou non – a suivi consciencieusement les débats autour de l’Histoire du Coronavirus… celui qu’on aimerait tant oublier…) ;

Épilogue  : un dernier procès dressé contre l’édition

« Essai » – tout en étant un chant…

  • le tout constitue un palimpseste polyculturel

l’Histoire planétaire, sortie de l’omerta, des tromperies & autres falsifications, est « corrigée » par l’auteur-narrateur, homme au savoir très étendu, que ce soit dans le domaine de l’Histoire, des arts ou de la géopolitique au sens d’Olivier Dollfus. S’affranchir du temps pour rejoindre l’Histoire universelle, connaître ses « errements, ses déboires et ses rares épiphanies, car l’histoire est toujours tragique » dit Olivier Rachet sur Artpress tout en pointant ses dérives (crise de civilisation, atteinte aux principes démocratiques si chèrement acquis) ou veiller au problème du langage « en tant que séparation, distance et interruption du monde tel qu’il est donné à lire » (J.-P. Gavard) comme le fait l’auteur, est « l’injonction » que certains verront, je dirai plutôt « l’invite silencieuse » que Guillaume Basquin lance aux lecteurs.

133. heureux celui dont la façon de procéder rencontre la qualité & la pluralité des temps

Guillaume Basquin est aviateur de profession, cela me fait songer au Petit-Prince de Saint-Exupéry. Bon, à plus de 10000 pieds la vue est plus dégagée…

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