Les mers perdues François Schuiten ][ Jacques Abeille

L'émotion de ma vie... Et toute une histoire !

Résumé : « Lointaines sont les contrées de ce livre. Plus lointaines encore leurs frontières indécises. Pour tromper son ennui, un milliardaire finance une expédition vers les confins méconnus de son monde. Il réunit à cette fin, sans leur donner d’explication, un curieux assemblage de personnes : un ancien aventurier devenu chasseur de pigeons, une géologue en rupture avec ses maîtres, un artiste réduit à de basses oeuvres et un écrivain sans le sou. Commence alors un long voyage à tavers l’immensité des déserts et des horizons qui, de civilisations oubliées en pierres folles, de rivages de mers secrètes en villes abandonnées, va bouleverser cette improbable équipe. Il y a des pays. Encore et toujours. Qui insufflent aux hommes qui les parcourent l’ampleur de leurs mondes et l’obscurité de leurs désirs. Les Mers perdues sont de ceux-ci.

L'émotion

« Ce roman-monde étonnant à la langue somptueuse, proche des textes de Buzatti ou de Gracq, semble sans équivalent dans la littérature française contemporaine : on y découvre, à la suite d'un voyageur, un peuple de jardiniers qui cultivent des statues, des êtres déchus, des hôteliers proxénètes, des amazones mystérieuses et des hordes barbares... »

Rien à ajouter… 

L'histoire double qui va de pair...

La nouvelle maison d’édition Attila, lancée à l’époque par Frédéric Martin et Benoît Virot (aujourd’hui scindée) a édité cet ouvrage en 2010. Le « hasard » m’avait fait découvrir sur le Net l’annonce de la sortie toute prochaine à venir de l’ouvrage qui me disait vaguement quelque chose : je me le suis procuré aussitôt… J’ai tout d’abord plongé dans cet océan d’images envoûtantes. Puis je fus de plus en plus surprise : les dessins de Schuiten ne m’étaient pas inconnus… J’ai tout d’abord recherché (un long moment) le film fantastique que j’aurais pu visionner me laissant de telles visions (si présentes dans mon iconosphère !). En vain. À vrai dire, bien plus tard, il m’est revenu que j’avais été friande, il y avait fort longtemps, des BD de Schuiten. Bredouille sur cette recherche, je passai donc à la lecture de ce récit d’une expédition fantastique vers les confins méconnus du monde… Et là : rebelotte ! Si ce n’était pire ! Plus je lisais, plus je me remémorais l’histoire que je connaissais déjà ! Fort intriguée par cette étrangeté qui persista tout le temps de ma lecture, je ne fus débarrassée de cette quête obsédante que lorsque j’atteignis la fin du livre et découvris le mot de l’éditeur…

« À l'origine, il y a un roman. Ce roman a une histoire. Maudite. Presque une légende noire. Et des lecteurs. Peu nombreux. Des passeurs qui se transmettent le livre, comme un mythe, ou un rituel. Depuis sa sortie, en 1982, Les « Jardins statutaires » est un texte lu essentiellement hors des circuits commerciaux ou médiatiques, avec autant de portes, de voyages et de clefs qu'il y a de lecteurs. Un jour, François Schuiten en a eu un exemplaire entre les mains... »

« Dans les années 1970, un jeune homme décide de changer de vie. Un soir, il part de chez lui. À Bordeaux (ah, Bordeaux !), dans un hôtel près de la gare, il écrit une dizaine de pages : le début d'un conte sur un pays où des statues sortent de terre. Quelques années après, Jacques Abeille relate ainsi ce moment particulier de son existence (...) »

« (...) Je crus avoir écrit l'œuvre d'un fou ; l'ayant laissé quelques temps, je m'étonne d'une cohérence inattendue. C'est ainsi. Écrivant, il arrive que l'on franchisse par mégarde une indécise et insoupçonnée frontière ; ce dont on se croyait maître se met à exister de son propre poids et, tandis que l'auteur bascule dans une moindre existence, se dresse un être de parole que son élan porte au dehors. La publication est moins une ambition qu'un geste de bonne foi. Il me semble. »

Je ne recopie pas in extenso les confidences de Jacques Abeille (dont j’affectionne pour ma part tout particulièrement l’extrait choisi figurant dans ce mot de l’éditeur) mais ainsi (sans avoir toujours pu m’en convaincre pleinement aujourd’hui, ah, mémoire !), je ne peux encore me défaire de l’idée que j’ai très certainement eu la chance merveilleuse d’avoir eu, un jour des années 80, un exemplaire des Jardins statutaires entre les mains ! À propos de la fin de l’histoire du livre – la « légende maudite » –, l’éditeur indique que le roman initial fut publié par Flammarion en 1982 ; qu’il connut plusieurs mésaventures (perte du tapuscrit, faillite de deux éditeurs, retard de fabrication, départ d’un éditeur, incendie des entrepôts Flammarion). En 2010, le roman avait ainsi quasi disparu des rayons et des mémoires… Mais une rencontre – merveilleuse – aura lieu entre François Schuiten et Jacques Abeille, tout d’abord à travers les lignes écrites, puis entre les deux hommes que d’étonnantes similitudes dans les œuvres feront entrer en résonance et produire « Les Mers perdues ».

Pour mon bonheur premier que je partage volontiers… 🙂 

Un dernier mot sur l'objet-livre

Fruit d’une exceptionnelle complémentarité, le livre est magnifique. Je ne saurais départager la contribution de chacun à sa valeur artistique qu’à 50-50 : des planches pleine page de dessins absolument sublimes où se glisse le texte somptueux de cet explorateur malgré lui, comme le reste des membres de l’expédition, la géologue, le dessinateur, le chef de la troupe, guide et gardien… Tous sont pourvus d’une particularité commune : des compétences brillantes, inexploitées comme non reconnues ; autre détail, tous ignorent l’objectif réel de l’expédition ; tous ont été recrutés par un mystérieux commanditaire sans aucune information sur le but de leur lointain voyage qui se situera (découvriront-ils avec surprise !) aux confins méconnus de leur propre monde…

Le récit narré par l’écrivain de l’expédition dont la mission est de tenir le journal de bord se lit dans les lettres qu’il adresse à un ami. Ces missives à la tournure éblouissante (m’habite sans doute à vie !) font vivre au lecteur toutes ses émotions les plus fortes et ses multiples interrogations…

© Zoé Gilles. 30 janvier 2016.

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