11 octobre 1963 – 8 septembre 2023 : bientôt 60 ans se seront écoulés depuis son départ.
Achevé de lire cette fameuse et fabuleuse pièce de Cocteau (l’histoire d’Œdipe) avec délectation…
Comment passer sans s’arrêter sur ce passage ?
LE SPHINX (la sphinge…) – Inutile de fermer les yeux, de détourner la tête. Car ce n’est ni par le chant, ni par le regard que j’opère. Mais, plus adroit qu’un aveugle, plus rapide que le filet des gladiateurs (…………………………………….)
ŒDIPE – Lâchez-moi !
LE SPHINX : Et je parle, je travaille, je dévide, je déroule, je calcule, je médite, je tresse, je vanne, je tricote, je natte, je croise, je passe, je repasse, je noue et dénoue et renoue, retenant les moindres nœuds qu’il me faudra te dénouer ensuite sous peine de mort ; et je serre, je desserre, je me trompe, je reviens sur mes pas, j’hésite, je corrige, enchevêtre, désenchevêtre, délace, entrelace, repars ; et j’ajuste, j’agglutine, je garrotte, je sangle, j’entrave, j’accumule, jusqu’à ce que tu te sentes, de la pointe des pieds à la racine des cheveux, vêtu de toutes les boucles d’un seul reptile dont la moindre respiration coupe la tienne et te rende pareil au bras inerte sur lequel un dormeur s’est endormi.
ŒDIPE, d’une voix faible. – Laissez-moi ! Grâce…
Fin de citation…
J’adore Cocteau, toute sa « floraison » : son humour, son écriture simple, riche et « moderne » liant langages parlé et écrit avec art, ses dessins, sa maîtrise du surnaturel.
À propos d’Œdipe, je lis dans le dossier qui accompagne la pièce que Cocteau fait soudain surgir sa figure dans un poème de son recueil Opéra (1927)* :
« Décrire ce piège serait malaisé. D’abord, qui l’a vu ? Selon nous (et certains indices le prouvent) un assemblage de pièces vivantes nécessitant une discipline ou une complicité de plusieurs siècles, le piège était plutôt une seule chose plate pliée avec un sens magistral de l’espace. À cet angle solitaire de la rue, afin de pouvoir se mettre autour du malheureux et obtenir la profondeur, il est probable qu’il joua du phénomène grâce auquel les pieds d’un noctambule marchant sur le trottoir de gauche s’entendent sur le trottoir de droite, et employa, comme la double photographie du stéréoscope, ces deux trottoirs parallèles, d’aspect inoffensif. Toujours est-il qu’en un clin d’œil l’homme fut happé, entraîné, déshabillé, scalpé, châtré, écorché vif, aveugle et recouvert d’un costume d’Œdipe, au milieu d’innombrables rires, dominés par une voix fraîche criant : C'EST BIEN FAIT ! »
*Texte publié dans Le Foyer des artistes (Plon, 1947)
Comme Colette a dit (Propos du 15 avril 1934 sur cette pièce) :
« Bénéficiant d’un privilège unique, Jean Cocteau a gardé ce que nous avons tous perdu : la fantasmagorie intime. Il ne connaît ni domaines interdits, ni routes brouillées, ni seuils effacés. L’ourlet de feu qui cernait, comme un nuage prometteur de foudre, les prodiges familiers du jeune âge, ne s’est pas encore éteint pour Jean Cocteau. Il sait sereinement que l’enfer est d’un certain violet, que passer de la vie terrestre à la mort, c’est peser mollement sur le train en fusion d’un miroir indicible ; qu’il suffit, pour voler, d’étendre les mains, de soulever légèrement les talons et de se confier à l’air… »
Et puis quelle biographie ! Je n’avais lu jusqu’à présent que La difficulté de l’être mais, justement, sa poésie me fait de l’œil : je vais y répondre
Autre article : Textes autobiographiques. Cocteau, Nietzsche, Edgar Morin.