Art… Art brut ou outsider & contre-culture

Beaucoup de mots pour en venir à l’essentiel : Qu’est-ce que la culture ? Et qu'est donc déjà l'art ?

La culture, c’est l’ensemble des connaissances, des savoir-faire, des traditions, des coutumes, propres à un groupe humain, à une civilisation. Elle se transmet socialement, de génération en génération – non par l’héritage génétique, comme on l’entend dire (mais la porte est ouverte à toutes les opinions !) – et conditionne en grande partie les comportements individuels, englobant de très larges aspects de la vie en société : techniques utilisées, mœurs, morale, mode de vie, système de valeurs, croyances, rites religieux, organisation de la famille et des communautés locales, habillement…

Ses trois grandes formes de manifestation sont l’art, le langage et la technique.

 

L’art est aussi communément défini comme suit :

« l’activité humaine visant à exprimer les préoccupations, les croyances, les questions sous une forme telle qu’elle traduise les émotions et les sentiments que les hommes éprouvent en y pensant. Il n’a donc pas n’importe quel contenu, il prend pour objet ce qui émeut l’homme, ce qui le concerne intimement, ce qui renvoie aussi bien à des thèmes éternels qu’à des préoccupations précises, liées à un contexte particulier. On comprend alors pourquoi l’art est le meilleur moyen dont on puisse disposer pour pénétrer dans l’esprit d’une culture. » 

L’art étant une affaire de « réception personnelle », je ne médirai pas de la logique de l’art contemporain ou de son développement idolâtrant le geste iconoclaste puisqu’il est désormais investi d’une valeur marchande qui annule trop souvent sa portée. À mon humble avis, l’artiste contemporain est avant tout un chercheur comme le scientifique. Chercheur d’expressions de vérité, qu’il perçoit sous forme de visions restituées à l’aide de mots, de sons ou d’images, selon ses facultés. Son travail nous parle ou pas.

L’unique différence entre ces deux « catégories » d’êtres réside dans le libre jeu : là où le scientifique est tenu par un minimum de vérités qui résultent de concepts rationnels, préétablis et définis comme sûrs (jusqu’à ce qu’ils soient détrônés ou désacralisés), l’artiste (comme le génie) plongent sans filet dans la grande nébuleuse universelle… Si leur « travail » est bien perçu (l’art résulte rarement d’un éclair de génie), une résonance vibre en nous.

Résonance joyeuse pour Constantin Brancusi

« Ce qui a vraiment un sens dans l’art, c’est la joie. Vous n’avez pas besoin de comprendre. Ce que vous voyez vous rend heureux ? Tout est là. »

Il serait plus juste de ramener cette appréciation à l’émotion en général que le peintre parvient à susciter (joie, douleur, étonnement, colère, etc.). Pensons au « cri » de Munch.

Pierre Soulages dit que l’Art n’a de valeur que pour l’œil qui perçoit.

« C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche. Ma peinture est un espace de questionnement où les sens qu’on lui prête peuvent se faire et défaire. Parce qu’au bout du compte, l’œuvre vit du regard qu’on lui porte. Elle ne se limite ni à ce qu’elle est, ni à celui qui l’a produite, elle est faite aussi de celui qui la regarde. Je ne demande rien au spectateur, je lui propose une peinture : il en est le libre et nécessaire interprète. »

Nos philosophes, quant à eux, pensent que... 

« L’art n’a d’autre objet que d’écarter les symboles pratiquement utiles, les généralités conventionnellement et socialement acceptées, enfin tout ce qui nous masque la réalité, pour nous mettre face à face avec la réalité même… L’art n’est sûrement qu’une vision plus directe de la réalité. » 

rejoint par Heidegger :

« L’essence de l’art, c’est la vérité se mettant elle-même en œuvre. » (Chemins qui ne mènent nulle part) 

ou encore, citons Nietzsche :

 « L’essentiel dans l’art, c’est qu’il parachève l’existence (…), il est générateur de perfection et de plénitude. L’art est par essence affirmation, bénédiction, divinisation de l’existence. » (La volonté de puissance),

Et nous pouvons boucler la boucle avec Kant…

« La beauté est la forme de la finalité d’un objet en tant qu’elle y est perçue sans la représentation d’une fin. On peut concevoir (…) une perfection esthétique, qui renferme le principe d’une satisfaction subjectivement universelle. C’est la beauté : ce qui plaît aux sens dans l’intuition et précisément pour cette raison peut être l’objet d’une satisfaction universelle. » (Logique).

Et l’art brut outsider ou la contre-culture ? Quelle différence ?

L’expression Art brut apparaît pour la première fois le 28 août 1945, dans une lettre de Jean Dubuffet au peintre suisse René Auberjonois. Dubuffet en donnera une définition en 1949 (cf. Francis moreeuw)

« Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, a peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe. » (Jean Dubuffet, L’Art Brut préféré aux arts culturels, Paris, Galerie René Drouin, 1949).

Excepté le fragment « indemnes de culture artistique », cette définition n’est-elle pas très proche de ce qui caractérise tout art nouveau ? Plus précisément, selon Michel Thévoz, ces auteurs sont

« des marginaux  réfractaires au dressage éducatif et au conditionnement culturel, retranchés dans une position d’esprit rebelle à toute norme et à toute valeur collective. Ils ne veulent rien recevoir de la culture et ils ne veulent rien lui donner. Ils n’aspirent pas à communiquer, en tout cas pas selon les procédures marchandes et publicitaires propres au système de diffusion de l’art. Ce sont à tous égards des refuseurs et des autistes. (…) Les œuvres mettent en application des matériaux, un savoir-faire et des principes de figuration inédits, inventés par leurs auteurs et étrangers au langage figuratif institué. L’œuvre est (…) envisagée par son auteur comme un support hallucinatoire ; et c’est bien de folie qu’il faut parler, pour autant qu’on exempte le terme de ses connotations pathologiques. Le processus créatif se déclenche aussi imprévisiblement qu’un épisode psychotique, en s’articulant selon sa logique propre, comme une langue inventée. » (Michel Thévoz, Art Brut, psychose et médiumnité, Paris, la Différence, 1990).

Et la contre-culture ?

C’est le fruit d’un besoin de « plus être », voire l’expression d’un mal-être… Le concept moderne dont le terme a été créé en 1969 par le sociologue Theodore Roszak n’en couvre pas moins une longue tradition de la dissidence et s’applique aux phénomènes sociétaux structurés, visibles, significatifs et persistants dans le temps, que désigne un ensemble de manifestations culturelles, d’attitudes, de valeurs, de normes utilisées par un groupe, qui s’oppose à la culture dominante ou la rejette. L’art étant le meilleur moyen dont on puisse disposer pour pénétrer dans l’esprit d’une culture, celui-ci est révélateur de ces poussées humaines.

Dans la contre-culture, on y associe le courant impressionniste. A l’époque, les critiques d’art officiels soutenant l’académisme s’étaient gaussés de « l’impressionnisme » qui, à l’opposé de la peinture académique fondée sur le dessin et qui cherche à se faire en quelque sorte oublier comme peinture, privilégiait la lumière, le chatoiement des couleurs, l’ambiance fugitive et charmeuse des moments qui passent et ne reviendront plus… 

L’évolution d’une grande partie de l’art contemporain qui a suivi, comme le mouvement dadaïste, trouve aussi son explication en réaction à un monde où la civilisation s’est retournée contre l’homme. Fondé pendant la première guerre mondiale (20 millions de morts, autant de blessés), le dadaïsme s’inscrit dans une révolte contre un « Progrès » qui aboutissait à asservir l’humain à des rouages industriels, financiers, militaires. Il n’y a aucun prestige de l’ « artistique » et le mieux que puisse faire un artiste est de se moquer de l’art, ainsi fut la réaction de Marcel Duchamp, précurseur et annonciateur de certains aspects les plus radicaux de l’évolution de l’art depuis 1945.

©Zoé Gilles, juin 2021.

 

    Ce formulaire utilise Akismet pour réduire le courrier indésirable.

    Vous souhaitez recevoir les prochains articles ?

    RGPD.

    🙂