Antonin Artaud Première (1/?)
Je me suis procuré ses œuvres quasi complètes, édition nouvelle 2004 préfacée par Evelyne Grossman, critique littéraire, éditrice et professeure de littérature française : remerciements à Gallimard et elle-même, travail remarquable.
J’avais d’abord annoncé sommairement cette acquisition : « séminaire ou cure ? » (1792 pages !), accompagnant l’info d’un extrait parlant :
« L’inspiration n’est qu’un fœtus et le verbe aussi n’est qu’un fœtus. Je sais que quand j’ai voulu écrire j’ai raté mes mots et c’est tout.
Et je n’ai jamais rien su de plus.
Que mes phrases sonnent le français ou le papou c’est exactement ce dont je me fous.
Mais si j’enfonce un mot violent comme un clou je veux qu’il suppure dans la phrase comme une ecchymose à cent trous. On ne reproche pas à un écrivain un mot obscène parce qu’obscène, on le lui reproche s’il est gratuit, je veux dire plat et sans gris-gris.
Sous la grammaire il y a la pensée qui est un opprobe plus fort à vaincre, une vierge beaucoup plus revêche, beaucoup plus rêche à outrepasser quand on la prend pour un fait inné.
Car la pensée est une matrone qui n’a pas toujours existé.
Mais que les mots enflés de ma vie s’enflent ensuite tout seuls de vivre dans le b a – b a de l’écrit. C’est pour les analphabètes que j’écris*.
Qu’un poète pousse des cris, c’est bonne broche pour l’infini peut-être, mais il faut que la broche soit cuite dans — etc., etc. »
*C’est pour les analphabètes que j’écris : Evelyne Grossman indique « qu’il se peut [j’y adhère] que ceci doit s’entendre comme le fit Deleuze : j’écris à la place des analphabètes ; je donne ma langue à ceux qui n’en ont pas. Il se peut aussi qu’il faille, avec Artaud, réapprendre à lire (nous sommes tous des analphabètes) »
J’ajoute :
Œuvres d’Antonin Artaud : Le Livre…
Écrivain, poète, acteur, dramaturge, critique, Antonin Artaud n’est pas romancier (art le plus populaire). Mais ses œuvres rassemblées ne forment-elles pas Le Livre ?
Artaud écrit à propos du théâtre :
Il en est qui vont au théâtre comme d’autres iraient au bordel. Plaisir furtif. Excitation momentanée, le théâtre pour eux ne représente pas autre chose. Il est comme le dépotoir de leur besoin de jouir par tous leurs sens : physiques et mentaux. L’hypertrophie du théâtre-distraction a créé à côté et au-dessus de la vieille idée de théâtre l’existence d’un certain jeu aux règles faciles qui est pour la plupart maintenant le théâtre lui-même et qui recouvre l’idée du théâtre en soi. Ce qui fait que l’on peut dire qu’il existe à l’heure qu’il est deux théâtres : un faux théâtre facile et faux, le théâtre des bourgeois, militaires, rentiers, commerçants, marchands de vins, professeurs d’aquarelle, rastas, grues et prix de Rome, et qui a lieu chez Sacha Guitry, aux Boulevards, et à la Comédie-Française, et un autre théâtre qui se loge où il peut, mais qui est le théâtre conçu comme l’accomplissement des plus purs désirs humains. De petites compagnies de jeunes acteurs se rassemblent un peu partout avec une foi ardente ou simplement suffisante et s’essaient à restituer Molière, Shakespeare et Calderón.
Cela ne vaut-il pas pour toute la sacro-sainte Écriture ? Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec nos petits éditeurs indépendants survivants… Ce texte a été écrit durant la plus fertile période de notre culture, extravagante, libérée un temps de ses chaînes : celle qui suivit 14-18. Mais il est vrai que nous nous retrouvons aujourd’hui ramenés avant 14…
Antonin, « lui que l’on qualifiera de schizophrène [et] n’a de cesse de lutter contre cette rupture qu’il voit entre les choses et les signes, le réel et sa représentation, entre l’art et la vie », dit aussi que son œuvre est :
Protestation contre l’idée séparée que l’on se fait de la culture, comme s’il y avait la culture d’un côté et la vie de l’autre ; et comme si la vraie culture n’était pas un moyen raffiné de comprendre et d’EXERCER la vie. » (souligné par moi).
Le théâtre et la culture, 1935.
Une idée bien trop encore actuelle !
à suivre…