L’Or du temps de Michel Bounan

Michel Bounan, l'Or du temps

Temps de lecture : 6 minutes.

N’en fait pas moins
N’en fait pas plus
Fait comme pour toi.

Une lecture vivifiante quand la démocratie semble s’effondrer…

Ce n'est sans doute pas la première fois qu'une telle mésaventure survient dans l'histoire humaine, bien que celle-ci soit peut-être la plus grave parmi celles dont on a conservé la mémoire. Et ce n'est pas parce qu'à chacune de ces épreuves, quelques hommes ont pu se réapproprier leur humanité, leur sujet intemporel et universel, et s'organiser dans des espèces de regroupement fraternels, que le monde a pu se ressaisir et reconstruire une civilisation.

Ce n’est pas sans réticence que je livre cet ouvrage à la publication. Les mains dans lesquelles il va tomber ne sont pas, pour la plupart, celles dans lesquelles j’aimerais le voir. Puisse-t-il — c’est le souhait que je forme pour lui — être bientôt oublié des journalistes-en-philosophie, cela lui vaudra peut-être d’être réservé à une meilleure race de lecteurs.

C’est l’épigraphe choisie par Michel Bounan (1942-2019). Le mot « race » dont l’emploi est aujourd’hui si contrarié — et contrariant — accroche immanquablement mon oreille…

L’or du temps est un essai de Michel Bounan, médecin par ailleurs, notamment un temps celui de Guy Debord de l’avant-garde situationniste dont il est proche et qui prit en quelque sorte le relais des Surréalistes avec l’Internationale lettriste.

J’ai découvert cet opus de 60 pages, et son auteur, à propos d’une recherche sur « L’Or du temps » d’André Breton, visé dans l’épitaphe sur sa tombe, soit la recherche de « ce qui demeure incorruptible et toujours identique à soi-même à travers l’écoulement du temps. Mais ce « je » qui cherche ainsi l’éternité est assurément l’objet de sa recherche. » (4e de couverture).

Deux raisons font que j’ai apprécié cet essai et m’incitent à recommander sa lecture.

La première est propre au livre que je résume brièvement sans trop déformer ou contrecarrer l’intention de l’auteur, je l’espère. 

Bounan part du présupposé, affirmé par Hobbes et consorts en leur temps et démontré aujourd’hui par la biologie moderne, que « l’animal humain est un prédateur égoïste qui ne songe qu’à sa survie individuelle et à ses désirs de prééminence ». Il traite le sujet humain passant du « Je vivant » — animal humain de toujours « à l’originale faculté de conceptualiser le langage conscient, la création artistique et l’activité scientifique » et l’« extraordinaire capacité à s’éprouver comme pur sujet face au monde et à soi-même », outre « la sensation de l’écoulement du temps et l’idée d’ « éternité » qui sont liées » — au « pur Je », présent en chaque sujet, qui fonde notamment l’universalité intemporelle et unique du sujet : « Les jours s’en vont, Je demeure ». Apollinaire…

Bounan, contempteur des religions et morales hypocrites, des sciences et de l’économie (« toutes les idolâtries du passé sont des produits dégénérés de l’expérience fondamentale du « Je » désindividualisé ») en retrace l’organisation collective jusqu’à l’inquiétant « homme moderne » aujourd’hui délivré des illusions manichéennes, religieuses ou laïques, mais animal humain toujours sans plus de valeurs ou de codes sociaux pour le borner l’ayant conduit à la barbarie moderne (ce livre date de 2015).

« Tout au contraire de l’animal, l’être humain a la faculté de saisir mentalement le monde qui l’entoure comme un objet extérieur à sa pensée et ses désirs. Il peut appréhender surtout sa propre pensée et ses désirs comme des objets d’examen, et s’éprouver ainsi soi-même comme pur sujet sans contenu observable. C’est grâce à cette disposition originale que lui appartiennent exclusivement, non seulement le langage conscient, mais encore la création artistique et l’activité scientifique. (…) » [ce qu’il nomme « désindividualisation »].

Tout ceci est un rappel non dédaignable de nos jours. Chacun peut se retrouver.

Le point le plus original est le « pur Je ». Nous trouvons ici « L’or » de Breton…

Je suis le fils de l’homme et de la femme, d’après ce qu’on m’a dit. Ça m’étonne… Je croyais être davantage.

Avec une pointe de mysticité athée, Bounan sort de l’obscurité un élément inséparablement physique et mental « jusqu’à présent négligé » [par les sociétés] dans la substance qui anime le corps et la psyché : l’énergie (solaire dans notre biosphère) [pour ne pas dire la « Lumière »] qui fonderait les sentiments de fraternité, solidarité, compassion, étrangers à toutes morales ou dogmes humains que chacun peut ressentir.

L’identité du "Je" avec soi-même, qui s’affirme ainsi à travers l’écoulement du temps, se reconnaît encore dans la totalité du monde vivant. Le pur sujet est semblable dans mon expérience intime et dans celle de tout autre individu ; comme il l’est aussi chez tous les vivants. (…) La même énergie vivifie tous les organismes vivants, et tous les hommes ont la possibilité de l’éprouver intimement comme leur propre sujet. La séparation des hommes entre eux est une conséquence de forme physique et mentale dans laquelle leur sujet universel se trouve engagé provisoirement, forme labile, changeante et mortelle (…).

Il aboutit à une lecture intéressante du prétendu commandement « Tu aimeras ton prochain » :

— non pas moins que toi-même (conformément à la nature d’un animal prédateur), ni plus que toi-même (ce qui se concevrait aisément, chacun sachant bien à quoi s’en tenir sur ce qu’il a de peu "aimable"), mais précisément "comme toi-même" — ce prétendu commandement n’est pas une injonction morale, un impératif sans fondement expérimental, un ordre descendu d’un ciel imaginaire, mais une conséquence inéluctable de cette expérience du "Je". Et la compassion universelle est le signe qui témoigne de l’authenticité d’une telle découverte. 

But de ce texte : un appel à sortir de soi-même, à écouter ce « pur Je », à s’affranchir « de la gangue du Moi agressif », à la désindividualisation.

La seconde raison est toute personnelle. J’écris un conte futuriste. Bounan fait référence à l’énergie qui nous anime universellement et au « pur Je » intemporel, immortel, universel et unique qui ne peut être « affranchi de la gangue du Moi agressif » qu’en passant par une « désinvidualisation »; dans ma fiction, j’ai créé l’« Unanisme » qui promeut cette désindividualisation mais que j’ai préférentiellement nommée : « individualisation réussie ». De même, au lieu d’évoquer la « lumière », j’évoque un « fluide qui circule dans nos corps comme le sang dans nos veines » et dont l’excès, en cas de joie ou de peine, s’écoule comme les larmes… Quels que soient les mots choisis, d’apprendre qu’une personne extérieure à moi pense identiquement : ça me rassure !

Pour ceux intéressés par Michel Bounan, À reprendre au commencement est le recueil de ses œuvres complètes. De l’essai Le temps du sida (1990) à L’or du temps (2015), ses textes « offrent une étude des diverses perturbations qui régissent le monde actuel, une vision exhaustive du désastre en cours, tant social et écologique qu’affectif, et une analyse des forces en puissance de ce processus : les États, la logique marchande et les médias. »

On a beaucoup décrié Michel Bounan. A priori sans raison selon les témoignages trouvés ici. Et j’avoue être bien tentée par l’acquisition de L’Art de Céline et son temps

Prochain retour de lecture : Sarabandes X de Corentin Durand. Second roman de ce jeune écrivain de 28 ans. Pour l’instant, je dis : palpitant ! À suivre.

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