Comment écrire quelque chose que l’on a envie de dire ?

À mon avis, les livres sont de 2 sortes :
- les pédagogiques qui ont pour but principal d’instruire,
- les autres qui sont à ranger dans le « divertissement » au sens de « distraction » et ont pour caractéristique commune de nous sortir des préoccupations du quotidien (du réel).
Parmi ces derniers, sans aucune considération ou échelle de valeur, certains sont de la pure évasion (s’échapper pour s’arrêter de penser…) ; d’autres sont plus ou moins neurologiques (nous élèvent : « Le récit a un « pouvoir germinatif » et il est à ce titre capable de transmettre une expérience. Mais pour Walter Benjamin la crainte est le développement de l’information, chargée d’explications, qui se ferme sur elle-même »).
Ces livres vont du simple récit plus ou moins profond (sous toutes ses formes) jusqu’à l’essai en la forme scientifique (développement d’une thèse originale [1]).
Alors écrire… Quoi : je sais. Mais comment ?
La première question à se poser est quelle forme adopter ?
Si on choisit le récit, choix le plus courant, il s’agit de narrer des faits vrais ou imaginaires. Celui-ci peut prendre plusieurs formes (conte, fable, roman, épopée…).
Walter Benjamin voit une différence intéressante entre le roman et le récit :
« Walter Benjamin propose d’opposer le récit au roman en disant que le premier est une œuvre créée et lue de façon coopérative, alors que le second l’est de façon individuelle. Le récit se délivre sans explications, son interprétation est laissée à la liberté de chaque auditeur, qui peut le reprendre comme il le souhaite. »
Aussi intéressante soit cette réflexion, il s’agit toujours de la narration d’une intrigue qui comporte des éléments essentiels :
- de temps (il n’est pas nécessaire de dater)
- de lieu (attention aux descriptions proustiennes)
- de personnages (H/F plusieurs ou non, animaux personnifiés, dont la description, principalement psychologique, est extrêmement poussée dans le roman – relations, comportement, histoire propre – Un conseil : se mettre dans leur peau ! Spécificité du roman: comme l’ont dit de célèbres auteurs : « on ne dit pas on montre »).
- une intrigue et donc une trame de l’histoire : un début, un (ou plusieurs) climax, une fin.
Le schéma de la narration préconisé par les dispensateurs de conseils en matière de « storytelling » à succès est linéaire (une situation initiale, un élément perturbateur, des péripéties avec un ou plusieurs climax, un élément de résolution, la situation finale). À propos de cette dernière, certains de ces conseillers indiquent que le héros a dû subir un changement… Personnellement, je trouve cela stupide… Ceci est le schéma le plus simple (qui produit la médiocrité actuelle) mais le cours le plus facile à suivre par le lecteur moyen. Il est également pratique pour le novice, mais c’est aussi dire adieu à l’ambition d’écrire un truc comme « Le bruit et la fureur… ». Chacun fait selon ses propres capacités. L’essentiel est d’aller jusqu’au bout.
Quand tout ceci est bien posé, on peut passer au plus passionnant : Écrire.
Pour cela, chacun fait aussi comme il en ressent le besoin. Certains auteurs ont besoin de plans extrêmement détaillés ; d’autres d’aucun plan, pas même celui de la trame complète de l’histoire. Certains commenceront par la fin, d’autres partiront du milieu de l’histoire ou tout simplement commenceront par le début… ou même s’appliqueront à écrire des passages précis : tous les modes sont dans la nature.
Mais vient alors le moment de définir au préalable une nouvelle chose aussi cruciale : le narrateur !
Qui va prendre la parole ? Un narrateur omniscient ou les personnages ?
Fort heureusement ce choix initial peut être modifié, comme tout dans l’écriture, au cours de ses différents jets… C’est une question de feeling, il convient de retenir ce qui correspond le mieux à ce que l’on veut transcrire en mots. Perso, bien ambitieuse dans mes souhaits, j’avais tenté en premier le « Je-Il » de Borges : ça s’est révélé quasi impossible et j’ai dû me rabattre sur un narrateur omniscient… Mais quel que soit le choix qui nous semble le mieux convenir en définitive, on conserve toujours la possibilité de panacher en intercalant des passages au Je plus intime.
Mon conseil : se lâcher, être franc avec soi-même. L’originalité – tout l’intérêt d’une œuvre – se dessine d’elle-même quand il y a un début de matière. Parfois, on peut même penser que nous ne sommes pas le réel géniteur. Perso, par moments, j’ai eu l’impression de n’être que le scribouillard de Dieu-sait-qui… À propos de mes personnages, je les ai laissé vivre. J’ai dû faire des compromis ; jai ressenti exactement la même chose que ce que décrit admirablement Amos Oz dans une interview dont je recommande la très riche lecture.
Cela n’est vivant que lorsqu’ils commencent à faire ce qu’ils veulent et qu’ils me disent : « Tais-toi, écris et ne te mêle pas du reste. » Quand je travaillais à La Colline du mauvais conseil, j’ai eu un problème avec deux personnages. Ils se rencontraient dans une vigne des monts de Judée et j’ai dit tout à coup : « Non cela ne vous convient pas. Puisque vous êtes des yekke [2], vous allez vous rencontrer dans un café du mont Carmel. » J’ai discuté avec eux. Je leur expliquais : ce n’est pas convaincant, ce n’est pas crédible, et ils me répondaient : « Tu n’as pas à nous dire ce que nous avons à faire, tais-toi et écris. » Je peux tout au plus les retenir et leur dire : « Si vous voulez que j’écrive, alors ayez quelques égards pour moi, adoptons un compromis. Sinon, cherchez-vous un autre auteur. » Ce que cette Hannah a pu me faire endurer, dans Mon Michael ! Je lui ai répété mille fois : « Va te chercher un auteur féminin, je suis incapable d’écrire à la première personne ce que ressent une femme. » Je lui disais : « Va-t’en ! », mais elle ne s’en allait pas. J’étais obligé d’écrire, de la sortir de moi, mais je n’ai pas arrêté de me bagarrer avec elle. Elle voulait tout le temps se plaindre, raconter combien elle était malheureuse, mais je ne la laissais pas faire. Là encore, ça s’est terminé par un compromis.
Amos Oz
Dans un roman tout a de l’importance : l’écriture proprement dite, l’intrigue et les personnages.
Et à propos du livre, son rôle, je cite encore sa réponse à cette question qui lui avait été posée :
« Est-ce important pour vous de dominer le lecteur ? » :
Il ne s’agit pas de dominer. Il s’agit de communiquer. Vous savez, je vais vous dire quelque chose que vous pourrez supprimer ensuite parce que j’en ai honte : c’est exactement comme dans l’amour. Je veux provoquer, chez la femme à laquelle je fais l’amour, des sensations que je n’ai jamais éprouvées moi-même car je ne suis pas une femme. Mais je veux savoir que je les lui ai apportées. C’est vouloir un peu du ciel. C’est vouloir sortir de votre propre peau pour entrer dans celle de quelqu’un d’autre. C’est encore se trouver soi-même, mais c’est aussi trouver quelqu’un d’autre.
Amos Oz
Bonne chance à tous dans cette merveilleuse aventure.
[1] Pour ceux qui veulent faire passer un message ou présenter une thèse dans le récit « La mise en récit de thèses saugrenues ou de théories complotistes contribue à les rendre plus crédibles. Une affirmation est en effet évaluée beaucoup plus positivement lorsqu’elle est scénarisée, et encore plus lorsqu’elle se base sur un « effet de dévoilement », c’est-à-dire lorsque le récit met en cohérence des éléments intrigants qui paraissaient disparates jusque-là. Cette manipulabilité des croyances fondée sur le récit est appelée « effet Othello » par le linguiste M. Piatelli Palmarini » pour les références source Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Récit
[2] Juifs d’origine allemande.
L'écriture avant, pendant et après... à propos du genre des romans de science-fiction.
Si je suis le raisonnement d’un commentateur, je pourrais ajouter à propos de mon livre La Note, un roman de science-fiction, le titre ronflant de « Conte philosophique en SF ». Cela me semble très excessif… 50% des ouvrages de SF, qui ne sont pas uniquement des space-opera, ne sont-ils pas des contes philosophiques ?
Le classement par genre d’un livre, si cela a été d’une certaine utilité à une époque pas si lointaine, pose aujourd’hui plus de questionnements et de problèmes qu’il n’apporte de « confort ».
Lire : un article intéressant de Noir d’absinthe, « Les frontières troubles de l’imaginaire ».
Ecouter : une émission de France Culture sur le Goncourt 2020 (L’Anomalie de Le Tellier).