CHANT SIDERAL
En-deçà bien & mal
©2024, Zoé Gilles
Résumé
Après vingt-sept années passées dans le terrifique Mond’On outrepassant le mal connu, un vieux philosophe terrestre et son assistante, deux nonagénaires ultimes survivants de Terre-On, atterrissent dans une dimension inconnue. Leur temps de vie est en suspens. Un carnet vierge tombe du ciel. Sous l’impulsion de la femme, ils entreprennent le récit de leurs aventures homériques de 2033 à ce jour de 2060.
I – RENAISSANCE (Extrait, incipit).
— Sans l’élixir, on ne va pas faire long feu… On s’y met ?
— Là, maintenant ? Je n’ai pas vraiment d’idées…
— On en trouvera ! Déjà orienter le récit. Fin heureuse, dramatique ou en queue de poisson ?
— Queue de poisson !
— Oh, non ! C’est détestable Toa. Oh… Tu as entendu ?
— Quoi donc ?
— La voix.
— Que disait-elle ?
— Je n’ai rien compris !
— Tu rêves…
— Peu importe. Alors… heureuse ou dramatique ?
— On verra !
— Oki ! Alors tu commences ?
Moa rit…
— OK, cantiamo, perché dobbiamo farlo!
Chère, Cher, Inconnus de l’espace,
Nous sommes le 7 janvier 2060 du calendrier grégorien…
ou J7 an 27 de l’onien… Actuellement ma compagne et moi sommes assis sur du sable vert sous un ciel ocre, face à l’océan rubis de cette dimension inconnue où nous venons d’atterrir après vingt-sept ans de survie sur On. Dans un coin soudainement bleu du ciel, un carnet étoilé tomba.
Il était vierge.
Moa, ma compagne, nous presse de vous conter nos mésaventures depuis la première implosion de notre planète natale, la Terre, le plus bel astre de notre galaxie… S’adresser à un inconnu du Cosmos n’est pas une situation ordinaire. Pas plus que de parler du futur au passé… Nous sommes les derniers membres d’un groupe de six sachants terrestres que nous formions avant la dernière implosion de Terre-On.
Petites particules tirées aux dés, cinq sorti en premier. Puis 6 avec Moa qui entre un peu plus tard dans l’histoire.
Vieux philosophe atypique, nonagénaire, né en Italie dans l’Empire Europe sur la planète Terre en 1970, je n’ai pas pour habitude de raconter des histoires… même si chaque acte de la vie en compose un début. Longtemps, je consignai tout dans un journal intime : mon pensum. Mes premiers textes n’étaient qu’une pelote de fils décousus ! Il va sans dire qu’il m’a fallu un certain temps pour retrouver la catharsis des mots. Après le « Ça » de 2033, ce terme pudique nommait l’Inouï, l’Impensable, l’Inénarrable survenu, un bunker s’était dressé entre eux et moi… Depuis vingt-sept années d’étrangeté se sont écoulées, durant lesquelles tout fut mémorisé dans le moindre détail, parfaitement gravé dans ma boîte noire : passer de 0 à moins 1, on peut en être fier et terriblement marqué pour autant.
Il vient, en effet, parfois un temps, dans l’itinéraire d’une vie, où des événements extraordinaires se produisent… disait Kenneth White, un de nos grands poètes disparus dont la parole, immortelle, s’entend toujours… Aussi loin d’être un conte, il est cependant certain que le récit de nos aventures homériques, que je vais vous chanter n’ayant plus que ma voix comme outil de communication, pourra paraître chimérique à un être rationnel, entendu pourvu de raison comme aurait dû l’être le Terrien dit aussi l’Humain, habitant le globe terrestre durant des milliards d’années, avec lequel — présupposé que je retiens — des similitudes entre vous et nous doivent bien exister.
Sinon à quoi pourrait servir ma parole ?
Avant d’entreprendre ce récit, je dois reformuler deux vœux, confiés aux oreilles de l’Immaculé concepteur du monde.
Le premier :
que cet Être suprême, s’il en est un, ait fait en sorte que vous, futurs auditeurs, soyez à même de décoder notre langage (chez nous c’était la tâche du cerveau).
Le second :
que ce récit aura quelque sens pour vous…
Je ne chercherai pas à vous procurer des frissons et vous relaterai nos aventures homériques — valant celles de nos Adam, Prométhée et autres avatars mythologiques — comme elles viennent. Nonobstant, cela m’amène à vous fournir une dernière précision élémentaire.
L’être humain fonctionnait sur un mode complexe quasi paradoxal.
Renfermant toutes les possibilités en lui et s’animant au moyen de sens reliés par un circuit neurologique au cerveau (soit comme un appareil branché au courant électrique, une de nos grandes inventions), l’expression humaine visuelle devait à l’aide de formes, couleurs, signes et symboles codifiés transmis par les sens, répercuter des émotions (peur, joie, peine, tristesse, intérêt, dégoût, curiosité, etc.) transformées à la longue en sentiments plus ou moins durables que corrigeait
sa logique (celle apprise ou adaptée par son intuition selon ses aptitudes et croyances). Nos récits humains avaient donc pour but d’atteindre ces sens et comme, malgré l’épisode onien, nous avons conservé tous nos attributs humains, vous en trouverez immanquablement la trace.
Ceci dit : Andiamo !
©2024, Zoé Gilles